Salut à toi noble Voy(ag)eur

Et bienvenue dans cette bibliothèque, havre de guerre et de psychose, dans une toile aseptisée laissant malheureusement si peu de place à la folie ou à la mort.

Eh bien installe toi bien inconfortablement, tu es entre de bonnes mains. Bien sûr le lieu est encore un peu vide, mais fais moi confiance, d'ici peu tu louera ce moment béni ou tant d'hérésies t-étaient encore étrangère.

Mes armes : Des livres qui posent le plus souvent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses, des écrits naviguant entre génie et folie, des œuvres parfois à tort méconnues ou oubliées, mais dont le ton est toujours à l’opposée de cette monoculture de masse volontiers futile et volontairement abrutissante.

Mon objectif : faire découvrir à ton cerveau, inexorablement engourdi par les dictats d'un monde aseptisé, les merveilles de la névrose, l'esthétique du pire, ou le vertige que procure la vue de l'infini. Appelle celà Alter Philosophie ou Vile Prétention, comme bon te semble, mais si le coeur t-en dis, viens trouver ici le futur carburant de tes réflexions enfin dés-abusées.

Bonne lecture, et souviens toi que les mots sont omnipotents, car ils agissent sur la seule chose qui compte réellement à tes yeux : TOI.

samedi 21 juin 2008

Peste par Chuck Palahniuk


Incipit :
1
Introduction

Wallace Boyer (Vendeur de voiture) : Comme la plupart des gens, je n’ai pas rencontré ni parlé à Rant Casey avant sa mort. C’est ce qui se passe généralement avec les gens connus, une fois cannés, leur cercle d’amis explose d’un seul coup. Quelqu’un de connu, une fois mort, ne peut pas faire dix mètres dans la rue sans rencontrer un million de meilleurs amis qu’il n’a jamais vus de sa vie.
Mourir, ç’a été la meilleure initiative que Jeff Dahmer et John Wayne Gacy aient jamais prise. Et après la mort de Gaetan Dugas, le nombre de gens qui ont dit avoir baisé avec lui a carrément crevé tous les plafonds.
Comme le disait toujours Rant Casey : les autres bâtissent une réputation en vous attaquant pendant que vous êtes en vie – ou en vous louant après.
Pour ma part, j’étais en avion, et voilà une espèce d’homme des bois qui s’assoit à côté. Avec la peau dans un état ! On aurait dit une vieille bagnole tout abîmée – pleine de traces de morsures, toute crevassée et couverte de bubons, et sur le dos de ses mains, c’était encore pire, affreux à voir.
L’hôtesse arrive, elle lui demande ce qu’il veut boire. Et puis elle lui demande de me passer mon verre, si ça ne l’ennuie pas : whisky-glace. Mais quand j’ai vu ces espèces de doigts de monstres autour du gobelet, avec les jointures toutes rongées, je n’ai même pas réussi à le porter à mes lèvres.
Avec l’épidémie, on n’est jamais trop prudent. À l’aéroport, juste après le détecteur de métaux, on était obligés de parler dans un détecteur de fièvre, comme ils en uttilisaient au départ pour contrôler le SRAS. Le gouvernement dit que la plupart des gens ne savent pas qu’ils sont infectés. On peut se sentir en pleine forme, mais si le détecteur se met à faire bip-bip parce que vous avez la fièvre, vous disparaissez, direction la quarantaine. Pour le reste de vos jours, peut-être. Sans procès ni rien.
Moi, je ne prends pas de risque, je rabaisse la tablette et je pose mon whisky dessus. Et je le regarde se diluer, devenir plus clair, jusqu’à ce que la glace ait fondu.
N’importe quel commercial vous le dira : la répétition, c’est la clef du talent, pour un vendeur. Et c’est en établissant une communication qu’on rapporte un maximum de blé à la concession.
On peut s’améliorer en toute circonstance. Un bon truc, pour se souvenir d’un nom, c’est de regarder la personne droit dans les yeux, assez longtemps pour enregistrer leur couleur : vert, marron ou bleu. Ça s’appelle un Schéma d’Interruption : ça empêche d’oublier, comme on le ferait sinon.
Ce cow-boy, là, il avait les yeux vert pétant. Vert antigel.

Morceaux Choisis :
Voilà comment la vie peut basculer en une seconde.
Comment l’avenir que vous aurez demain ne sera pas le même que celui que vous aviez hier.

Andy Warhol avait tort. Dans l’avenir, les gens n’auront pas droit à un quart d’heure de célébrité. Non, dans l’avenir, tout le monde sera assis au moins un quart d’heure à côté de quelqu’un de célèbre. Mary Typhoïde ou Ted Bundy ou Sharon Tate. L’histoire n’est faite que de monstres ou de victimes. Ou de témoins.

La grande raison pour laquelle les gens quittent une petite ville, disait toujours Rant, c’est parce qu’ils pourront rêver d’y revenir. Et la raison pour laquelleils y restent, c’est parce qu’ils peuvent rêver d’en partir.


Une manière de s’approprier ceux qu’on aime, c’est de leur donner un nom à soi. De leur coller sa marque, comme une étiquette.

Nous vivons tous cet instant là, celui ou nos parents nous voient soudain comme quelqu’un qui ne sera pas eux.

Dans des moments comme ça, on se sent comme une expérience ratée avec laquelle nos parents vont devoir vivre le reste de leur vie. Comme un gag, un lot de consolation ridicule. Et papa et maman, on les voit comme des dieux un peu débiles, qui n’ont pas trouvé en eux moyen de faire mieux que ça, soi.

Tu peux obliger plein de gens à participer au même mensonge, s’ils y ont un intérêt. Quand tout le monde répète le même mensonge, eh bien ce n’en est plus un du tout.

Dans la vie, tout revient à l’argent, ou à la chair, comme si elle ne pouvait pas être les deux à la fois. Ce serait un peu comme d’être à la fois vivant et mort. Et ça ce n’est pas possible. On est obligé de choisir.

Tout le monde n’apprécie pas le base-ball ou la pêche à la ligne, mais tout le monde est obsédé par soi-même.
On est toujours son propre violon d’Ingres. On est toujours le spécialiste de soi-même.

Un vendeur n’a qu’à vous prouver qu’il est aussi obsédé par vous que vous l’êtes vous-même. Sur quoi vous partagez tous deux la même passion : vous.

Le consensus le plus important, dans la société moderne, s’applique au système de circulation automobile. Au processus interactif par lequel un flot d’inconnus peut partager une même voie et s’y déplacer presque toujours sans incident. Il suffira d’un conducteur dissident pour créer l’anarchie.

La mort et moi, des jumeaux séparés à la naissance.

Echo Lawrence : Mais chaque fois que Rant atteignait l’orgasme, ou bien dans la seconde après qu’on s’était fait percuter par une autre équipe, quand il clignait des paupières en paraissant se rendre compte qu’il n’était pas mort, il souriait et disait toujours la même chose. Il souriait, comme ça, l’air un peu abruti, et il disait : « C’est ça qu’on devrait ressentir à l’église… »

Rant Casey sur DRVR Radio Graphic Traffic :
« … Et si la réalité n’était qu’une maladie ? »

Galton Nye : Protéger les générations futures est la responsabilité de tout citoyen honnête et productif, dans n’importe quelle société.

Vous êtes-vous déjà trouvé coincé dans un monde où vous représentez le pire cauchemar de tout le monde ?

Neddy Nelson : Et si, par exemple, quelqu’un remontait le temps et trafiquait le passé, comment le saurions-nous, tous ? Est-ce que la seule chose que nous connaissons, ce n’est pas la réalité présente ? Et si la réalité était sans cesse redistribuée – avec des changements minimes, infimes ? Ou bien si les gens en place avaient déjà trafiqué le passé pour prendre le pouvoir et nous disaient maintenant de ne pas jouer avec l’histoire, sinon nous allons remonter le temps et tuer nos ancêtres et les générations suivantes et finalement nous ne naîtrons jamais ?

Je veux dire, les gens qui contrôlent la finance et la politique, pourraient-ils inventer pire menace ? Ne prétendaient-ils pas à une époque que la terre était plate ? Qu’il était indispensable de rester à sa place, paysans et esclaves, sans bouger, sinon on passait par-dessus bord ?

Extrait des carnets de Green Taylor Simms (historien) : L’argument principal qui s’oppose à cette possibilité de voyage dans le temps est ce que les spécialistes appellent la « Théorie du grand-père ». Cette idée que celui qui remonterait le cours du temps pourrait tuer son propre aïeul, éliminant d’office la possibilité d’être lui-même né – et donc d’avoir jamais eu la possibilité de remonter le cours du temps pour commettre ce meurtre.
Dans un monde où des milliards d’individus croient que leur divinité a conçu un enfant mortel avec une vierge, il est frappant de constater à quel point la plupart des gens manquent d’imagination.

Bodie Carlyle (Ami d’enfance) : Dans la vie, vous voyez, les choses tournent bien ou mal, mais jamais pour longtemps. Et ensuite, elles tournent autrement.

Tout le monde veut être spécial – acquérir une certain statut parmi ses pairs – mais pas trop spécial non plus. La plupart des gamins veulent être spéciaux comme leurs copains le sont, ni plus ni moins.

Comment un individu intelligent est-il censé réagi, quand il s’aperçoit qu’il n’est que le produit d’un système malfaisant et corrompu ? Comment pouvez-vous continuer à vivre quand vous savez que chacune de vos respirations, chaque dollar que vous versez aux impôts, chaque enfant que vous concevez et aimez, ne servira qu’à alimenter et perpétuer un système pourri ?

C’est peut-être comme ça que se créent toutes les grandes figures religieuses : les amis et connaissances disent et répètent qu’il est génial, en font des tonnes, histoire de simplement tirer leur coup. On voit très bien saint Pierre dans un bar en train de draguer une gonzesse. « Ouais, j’ai pas mal bourlingué avec Jésus Christ, c’était mon meilleur pote… »

Peut-être que les gens ne voyagent pas dans le temps. C’est peut-être des mensonges de ce genre, n’importe quoi pour ne pas envisager la puanteur de la mort – de la mort d’un noir d’encre, la mort éternelle -, ce genre de mensonges quand même plus bandant, qui est à la base de toutes les religions du monde.


Neddy Nelson : Posez-vous la question : qu’est ce que j’ai pris au petit déjeuner, aujourd’hui ? Qu’est ce que j’ai mangé pour dîner, hier soir ?
Vous voyez comme la réalité s’efface vite ?

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