Salut à toi noble Voy(ag)eur

Et bienvenue dans cette bibliothèque, havre de guerre et de psychose, dans une toile aseptisée laissant malheureusement si peu de place à la folie ou à la mort.

Eh bien installe toi bien inconfortablement, tu es entre de bonnes mains. Bien sûr le lieu est encore un peu vide, mais fais moi confiance, d'ici peu tu louera ce moment béni ou tant d'hérésies t-étaient encore étrangère.

Mes armes : Des livres qui posent le plus souvent plus de questions qu’ils ne donnent de réponses, des écrits naviguant entre génie et folie, des œuvres parfois à tort méconnues ou oubliées, mais dont le ton est toujours à l’opposée de cette monoculture de masse volontiers futile et volontairement abrutissante.

Mon objectif : faire découvrir à ton cerveau, inexorablement engourdi par les dictats d'un monde aseptisé, les merveilles de la névrose, l'esthétique du pire, ou le vertige que procure la vue de l'infini. Appelle celà Alter Philosophie ou Vile Prétention, comme bon te semble, mais si le coeur t-en dis, viens trouver ici le futur carburant de tes réflexions enfin dés-abusées.

Bonne lecture, et souviens toi que les mots sont omnipotents, car ils agissent sur la seule chose qui compte réellement à tes yeux : TOI.

lundi 16 juin 2008

L par Isabelle SORENTE

Incipit :
Lorsque j'ai reçu ce message de Lucrèce, il était trop tard.

De : LucreceM@mail.fr
A : AlexandreM@DGFinance.groupe.fr
20/08/00 02h40
Objet : Néant

Non.

Non, je ne reviendrai pas. Je ne reviendrai plus. Ma colère est immense et je pourrais cavaler trois fois derrière mon ombre tout autour de cette planète, cela ne m'apaiserait pas et ne servirait à rien, puisqu'il n'y a plus de fuites possible, plus de terres inconnues à découvrir, plus de retraite, aucun moyen d'éviter tous ces produits de toutes sortes, toute cette merde qu'il faut avaler, et avaler sans cesse, et avec le sourire encore. Non, je refuse de contribuer plus longtemps à propager le mal, c'est fini, bien fini, je cesse de produire, je cesse de consommer ; il est impossible de fuir, je vais rester ici. Je vais rester ici et débrancher le téléphone, la télévision, brûler les livres que j'ai lus, brûler surtout ceux que je préfère, brûler ce que j'ai écrit, brûler mes dernières volontés, brûler mes vêtements, les journaux, jeter tous les restes de bouffe périmée qui encombrent encore le frigo dans un dernier sac-poubelle, et puis je finirai par effacer les messages que je t-ai envoyés, effacer ceux que tu m'a écrits et je débrancherai enfin cette putain de machine et si je ne suis pas déja morte de faim, alors j'allumerai un grand feu de joie ; enfin je serai libre.
Plutôt mourir que de dire : oui.

Ne me regrette pas quand je serai morte, vieux porc. Garde plutôt tes forces pour essayer de bander. Désolée, c'est sorti tout seul... Je ne peux m'empêcher de penser que tu avais, même si ti t-efforçais de me le cacher, quelques problèmes, disons de turgescence. Si ce n'est pas un signe ça ! Un signe de quoi ? Mais justement, Mon Autre. Un signe des temps.

Un signe de L.

L, la Ligne. De régime, de coke, de chemin de fer, de conduite, de carrière, de vêtements, de voitures. La somme, la gamme, la séparatrice. La ligne droite, la ligne à atteindre. L la féminine, la fractale, la terrifiante mégamère, la reine structure, notre impératrice mère de plastique.
Lorsqu'on parle d'L, ce n'est rien de dire société, il faut dire fourmilière. Et encore. On reste en dessous de la réalité.

Morceaux choisis :
Je suis née d'L.
Je suis de la génération sous L. Je suis de la génération qu'on émascule à la naissance, de la génération des enfants rois, enfants objets, enfants produits, enfants drogués, junkies infantiles qui arpentent chaque jour les rues de la ville pour consommer le rêgime amaigrissant suivant, le téléphone mobile suivant, le plan de carrière suivant, la paire de pompe suivante, le corps parfait de clone du partenaire suivant.
Je suis de la génération dont la peau à moins de prix que l'habit.
La génération sous L, insensibilisée par L, banalisée par L, dont la peau ne ressent plus rien, dont la peau a été rendue à jamais imperméable à l'Autre, à jamais fermée à la caresse de l'Autre. Je suis de la génération des homosexuels qui ne savent aimer que leur propre reflet. Je suis de la génération des impuissants.
Je suis un clone comme un autre.

Plus on recule le seuil de sensibilité plus les sensations doivent être fortes pour amener les zombies à la satisfaction. Banalisons la mort et consommons davantage !

Telle est notre malédiction, d'aspirer sans cesse à l'absolu, de le perdre sans cesse et d'y survivre toujours.

J'ai lu un jour le compte rendu de cette expérience pratiquée sur des hamsters dont le sexe est stimulé pourvu qu'ils dépensent l'énergie nécessaire à faire tourner une roue, tu sais ces petites roues en plastique qu'on place dans leur cage. Ces hamsters finissent par mourir d'épuisement, faisant tourner la roue avec de plus en plus de frénésie, incapables de renoncer à la stimulation sexuelle.
Sans doute, nous en sommes tous là.
Les constructions sociales ne sont rien d'autre qu'une manière de nous éviter de mourir de cet épuisement-là, en détournant par la même occasion notre énergie vers des buts plus constructifs, plus rentables.

Pour notre malheur, nous sommes des arbres à deux racines, plongeant droit au sol et au ciel. Lorsqu'on cesse de boire à la source des rêves, le développement ne se fait qu'à moitié. En haut quelque chose manque.

Contrairement aux canaris, l'homme et la femme se reproduisent en captivité.

Remplir les journées, les soirées, occuper les jambes, les têtes, les mains, les ventres, les yeux ! Surtout ne pas se poser de questions. Rien qui puisse arrêter le va-et-vient général : consommer / produire, consommer / produire !

Le clonage véritable n'est pas dans les éprouvettes mais sur nos murs, dans nos magasins et sur nos journaux !

Il y a fort à parier que si l'acte sexuel dépendait de l'excitation et du plaisir de la femme comme il dépend de ceux de l'homme, l'espèce humaine aurait depuis longtemps disparu de la planète.

A trente ans, nous avons l'apparence des adultes, l'apparence de la sagesse, mais l'apparence seulement. Et si peur de mal faire !

"L'adulte" est mort. La cruauté des cours de récré règne aujourd'hui dans les bureaux feutrés des multinationales.

Ce serait si bon d'être esclave ! Ne pas avoir à se prendre en charge... Oublier la brûlure de la liberté...

Il n'y a que les causes perdues qui méritent qu'on les défende, que les questions sans réponse qu'il est nécessaire de poser.

Dieu pleure. Le vrai. A cause du faux. Qui dirige le monde.

1 commentaire:

  1. Tout en noirceur ce texte, mais révélateur , ô combien !
    Dieu n'est pas mort...il dort ! Il a semé des graines dans le coeur de quelques-uns(es)...on les rencontre parfois, au gré des rencontres...Certains(es) vivent dans la rue ; d'autres , plus chanceux, vivent dans le confort. Mais tous ont un commun un regard clair et lucide et une générosité à toute épreuve !

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